Vantongerloo
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ne sont la que réparations et variations mais desquelles le
vrai sens de la vie ne peut se dégager. C'est notre morale
qui doit devenir la logique même. Notre morale a perdu
le sens ou plutót n'a jamais eu de sens. La nature qui ne
se soucie que de la propagation de l'espèce est complète-
ment amorale, elle n'évolue pas, elle varie. La haute valeur
de I 'esprit seule évolue et la morale est a sa base Terreur
de notre civilisation, c'est de ne pas savoir distinguer ces
deux points de vue elle veut les conjuger, mais elle reste
rivée a la nature qui lui joue pas mal de tours. Sujets de
la nature, nous sommes handicapés par les facultés de notre
esprit. Comment naviguer dans ce double courant II Fau-
dra distinguer ce qui est en raison directe de la nature de
ce qui appartient a la civilisation. En art, on a aussi voulu
conjuger la nature et Tesprit on a interprété la nature et
Tesprit a dégénéré, ce qui a donné une forme inférieure de
Tart. Notre civilisation est agrémentée de ce sous-art. On
commence cependant a voir Tart se dégager d'une quasi
philosophie pour devenir de plus en plus une science et
former une unité avec une société nouvelle a ne pas
confondre avec un art utilitaire...). Mais le champ d'action
de Tartiste n'est pas encore défriché. L'artiste se croit en
core condamné exprimer Tart isolément, sans rapport avec
Torganisation sociale. L'art fait encore partie de la vieiile
organisation mais, comme celle-ci ne peut persister éter-
nellement, elle devra un jour céder la place a une organi
sation plus conforme aux besoins du présent. L'art se
créera alors par un besoin réel. L'art, la science formeront un
tout homogène avec la société et cette organisation nou
velle sera qualifiée de Sociale Jusqu'a présent, I'arr
n'était pas libre et sous son drapeau on exprimait tout
nature, littérature, physique, mécanique, etc... On ne s'éton-
ne plus d'avoir vu naitre Ie surréalisme de cet amalgame
hétéroclite. C'est ainsi qu'on a pu voir les incohérences
les plus folies ou les plus stupides considérées comme ceu-
vres d'art (on peint une jambe coupée et une fleur, qu'on
juxtapose, sans relations entre elles, et on dit que c'est
moderne
Jusqu'a présent, Thomme et Tart ont toujours été en ser-
vage. L'ère nouvelle donnera Tart la société et la so
ciété, c'est tout le monde, elle est anonyme, elle s'appar-
tient en propre et ne doit être composée que de travailleurs
libres, intellectuels ou manuels (le travail libre ne donnant
que du plaisir, tandis que le travail exigé abrutit Thomme).
Cette ére nouvelle permettra de continuer Tévolution alors
que notre civilisation nous conduit dans un cui-de-sac. Ac-
tuellement, une solution dans notre civilisation en contredit
une autre, au lieu de la confirmer et de la compléter. Et
quoi qu'on passé dans ce système périmé, tout conduira a
fatiguer les hommes, la base n'étant pas en rapport avec
nos besoins réels. Le servage ou Texploitation, je, me,
moi sont les signes de la vieiile civilisation. L'anonymat
sera le signe le l'ère nouvelle. Tout travail sera au bénéfice
de la société. Une telle société n'a plus que faire de la
politique, du principe des nationalités, des frontières... elle
n'a que des travailleurs spirituels et manuels. C'est la rai
son qui règne, faite de sentiment et de cceur et non de
sensiblerie romantique qui ne peut créer que le fanatisme.
Extrait d'une conférence faite par Albert Gleizes a TUniver-
sité de Londres Courtauld Institute of Art le 5 juin
1934, sur la Peinture moderne dans Thistoire et son état
actuel.
Depuis trois ou quatre ans, un groupement comportanf
un grand nombre a'éléments jeunes venus de tous les pays
d'Europe et d'Amérique existe a Paris. On commence a con-
naitre son nom Abstraction-Création Ces jeunes n'ont
retenu des générations antérieures que quelques personnali-
tés qui leur ont paru être demeurées fidèles a leur foi d'il
y a vingt-cinq ans pour ces dernières, c'est la un hom
mage significatif, car, a cinquante ans, ne pas être rejeté
par la jeunesse, cela prouve qu'on a su conserver un cosur
jeune.
Ce groupement est curieux. II ne s'encombre pas de déti-
nitions littéraires il n'est pas en quête de la découverte
du moi II est essentiellement plastique et même rudi-
mentairement. Cependant, il est impressionnant de constater
combien tous ses membres sont, a des titres divers, désireux
de toucher, par des moyens qu'ils pressentent simples, Tes
prit. Plastique et esprit sont le commencement et la fin
de leur raison d'être. Dans les deux mots accolés Abs
traction-Création il y a, lorsqu'on réfléchit, les élé-
ments complets pour que la plastique soit esprit et pour que
Tesprit soit la plastique.
Abstraction implique le dépouillement des caractères in
dividuels des images sensibles. Comme je vous l'ai expliqué
dans mon exposé des différents stades de Tévolution cu-
biste, ces images ramenées au même dénominateur avouent
une nature essentielle, celle de la géométrie et celle-ci,
également ramenée au même dénominateur, avoue une na
ture plus essentielle encore, celle des nombres. Abstraction
signifie done, par voie de dépouillement et de générali-
sation a la fois, le passage de l'image aux sens et a la
mémoire, a la géométrie et a ses figures, a Tarithmétique
et a ses nombres. Géométrie et arithmétique, figures e!
nombres, sont les bases de Thomme entendu comme image
du créateur et qui lui permettent d'agir plastiquement-,
selon Tesprit.
Creation s'ajoute done normalement Abstraction, com
me une conséquence création comprise seulement comme
une action formelle humaine, bien entendu, et non comme
le résultat d'une hérésie intellectuelle. Ce qui revient a dire
que la création, dans le champ de Thumain, dont !e néant
est pour Thomme Tensemble des matériaux créés par Dieu,
ressortit a la mission non de Tartiste, qui commente ou orga
nise un spectacle, mais de Tartisan qui fait un objet, une
ceuvre, et peut-être un chef-d'oauvre.
Ce groupement n'a pas encore c'est Tépoque qui,
dans son chaos, ne permet pas la délivrance compléte, -
une cohérence dans les méthodes et les moyens les indivi-
dus tiraillent toujours plus ou moins pour eux-mêmes, mais
le fonds est commun et l'idéal aussi. A mon sens, c'est, au-
jourd hui, ce qui continue le plus vigoureusement les recher
ches de 1910 et reste en accord avec les aspirations intui-
tives des artistes et des groupements du xixe siècle et d.i
début du xxe siècle. L'avenir lui apportera vraisemblable-
ment l'unité dans les méthodes, qui constitue Taccord sur
les moyens, et ce sera dans cette paix que Tesprit pourra
témoigner.
Printed in France.