Lutter pour garder les yeux ouverts
Les photomontages de John Heartfield (1891 - 1968)
Dix ans apres peres et fils
Le marechal Hiridenburg
passant en revue une armee
de squelettes...
1925
En 1918, alors que I'Allemagne est confrontee a une
situation sociale et economique catastrophique et baigne
dans un climat revolutionnaire, le mot Dada», trouve a
Zurich dans I'ombre du Cabaret Voltaire, devient le cri de
ralliement d'un groupe de createurs berlinois, decides a
inscrire leur action au cceur meme de I'Histoire.
Le slogan lance en Suisse par les dadai'stes Dada ne signifie rien» ne semble plus ici
d'actualite. De la denonciation de la quietude bourgeoise et de I'inaction coupable a la
construction des symboles graphiques du mouvement ouvrier, John Heartfield explore
les nouveaux pouvoirs du photomontage. Face a la menace grandissante du nazisme,
il decide de prendre I'ignominie a bras le corps, de «raconter» la monstruosite en
elaborant une symbolique et une narration perceptibles par tous. La caricature repond
a la caricature a une epoque ou beaucoup d'intellectuels n'imaginent pas qu'Hitler,
ce pantin grotesque, puisse reellement
prendre le pouvoir, Heartfield decrypte
dans ses photomontages les symptomes
d'une societe malade prete a I'accueillir.
Dada comme strategic
A I'art envisage comme pratique individuel-
le et sacree, Dada oppose I'idee d'une stra
tegic communautaire et se presente
comme une parodie constante de la societe
allemande. II utilise ses modeles afin de
montrer a quel point I'histoire peut basculer
dans le non-sens. Les dadai'stes s'empa-
rent de la culture pour la remettre en cause,
ils violentent le statut de I'art, ne signent
pas toujours leurs ceuvres, ne les conside-
rent d'ailleurs pas comme telles, n'hesitent
pas a les detruire.
Deifier artiste equivaut a se deifier soi-
meme. L'artiste n'est pas au-dessus de son
milieu et de la societe qui I'acclament.
Car sa petite tete ne produit pas le contenu
de ses creations, mais elle elabore (comme
la chaudiere a saucisses, la viande) la
conception du monde de son public, ecri-
vent en 1919 John Heartfield, le Monteur
dada, et George Grosz, le Propagandada.
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