Le double jeu
de I'art
dans la rue
Depuis 5 ans, a Fontenay-sous-Bois, le Salon de I'Ephemere, organise par Evelyne et
Philippe Chat, invite pendant le mois d'aout des createurs de plusieurs disciplines,
peintres, plasticiens, graphistes, illustrateurs, dessinateurs de presse, a intervenir sur
les panneaux d'affichage municipaux, les places et dans les pares de la ville.
Pas de theme impose, ni de selection des oeuvres les artistes disposent d'une totale
liberte d'expression et peuvent meme choisir leur lieu d'intervention. En contrepartie
de ce travail non remunere, la ville edite un petit catalogue, reproduisant chacune
des ceuvres photographiees dans la ville (avec I'adresse des participants) et expose a
la Maison pour tous, courant janvier, les travaux de jeunes artistes decouverts
lors du Salon.
line telle initiative, par definition risquee, est rare en France. Au dela de son aspect
spectaculaire, evenementiel, et de son role d'animation, le Salon de I'Ephemere
souleve, sans les nommer, un certain nombre d'interrogations relatives a la notion
«d'art dans la rue», et au probleme de I'affichage dans I'espace public.
Frederik Pajak
La culture-patrimoine»
Par bien des aspects, cette experience
inedite constitue un defi aux divisions
actuelles des disciplines, aux modes de
pensee en vigueur dans le monde de I'art
contemporain institutionnalise et de la com
munication visuelle en general.
«L'art dans la rue» est une notion floue,
incertaine, trop souvent galvaudee pour
qualifier, legitimer n'importe quelle
operation «d'art publicElle ne peut signi-
fier reellement une pratique, s'appliquer a
un mode de production. Ces dernieres
annees, les interventions d'artistes,
peintres, sculpteurs, decorateurs se sont
multiplies dans la ville. Chaque municipali-
te se doit d'avoir aujourd'hui sa fontaine,
sa sculpture emblematique, ses murs
peints, son monument hommage, son
installation conceptuelle, son edifice
d'avant-garde sans parler du sacro-saint
musee. Toutes ces realisations contribuent
fortement a I'image de marque de la ville.
Cette vision de I'art, academique et officiel-
le, dans bien des cas manquant d'imagina-
tion, conforte les ideologies dominantes.
Elle permet aux elus de camoufler I'absen-
ce d'une reelle politique, en matiere de dif
fusion et de comprehension de I'expression
plastique. Elle permet aussi de masquer
le manque criant d'espaces publics, libres
pour I'expression dans la cite, d'un reel
programme d'action artistique, ou des
artistes» pourraient s'impliquer durable-
ment. A la limite de I'alibi culture!, ces reali
sations sont un moyen pour les decideurs
de justifier des depenses importantes.
Cet art de la rue est tres souvent un art qui
aspire a I'immuabilite. II s'inscrit dans la
culture-patrimoine, la culture-monument,
resultats d'une vieille habitude a sacraliser
les productions artistiques.
II suffit de consulter les journaux «d'infor-
mation» municipaux pour apprehender
cette vision poussiereuse de I'art public et
voir comment certains elus ne cessent de
s'auto-congratuler avec, toujours en arrie-
re-plan, les echeances electorales. Ainsi
pouvait-on lire dernierement dans le journal
de la ville de Levallois-Perret a propos de la
realisation de deux murs peints grandilo-
quents a la memoire de Gustave Eiffel
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